Ecrire un personnage LGBT+ sans sombrer dans les clichés
Suis-je queer parce que je suis moi ou est-ce que je suis moi parce que je suis queer ?
Je repose la question : est-ce que je suis queer parce que je suis moi, ou est-ce que je suis moi parce que je suis queer ?
Ok ok, c’est la question de l’œuf ou de la poule, mais en vrai, c’est une question de représentation qui se pose ici. Et comme c’est un article sur l’écriture, on va considérer que l’accroche ne parlait pas de moi, votre narratrice, mais d’un personnage. Ce qui amène la question à en être aussi une de narration et de diversité.
Est-ce que donc, si je me permets de reformuler, l’identité d’un personnage se résume au schéma de genre et d’orientation sexuelle qui le composent ou est-ce que ces deux choses ne sont qu’un tout dans son identité ? La réponse est facile, croyez-moi sur paroles (ou sur mots, puisque c’est un format écrit) : ce n’est qu’une partie de lui, un fragment de ce personnage. Parce que sinon, tous les personnages cis hétéros seraient juste ça. Des cis hétéros. Alors que rarement, je me suis demandé le genre ou ce qu’il y avait entre les jambes de Peter Parker (à part peut-être sur d’obscurs sites dont on taira l’absence de romantisme en ce jour de Saint-Valentin), ou si Batman est hétéro (même si ça peut virer un peu homoérotique avec Superman parfois).
Alors pourquoi, pourquoi la plupart des personnages queers que l’on voit sont juste cela, des personnages queers (quand ce ne sont pas des quotas) ? Et comment faire mieux ?
J’ai commencé à répondre à la question d’accroche et j’ai deux autres questions qui ont surgi.
Pas mal. On avance.
Pour répondre à la première de ces deux questions, il me faut sortir un mot barbare, compte triple au scrabble :
La cishétéronormativité
Ne vous inquiétez pas, je suis universitaire de formation, ce mot va être décortiqué par une professionnelle. Cis, ça veut dire du même côté en latin, à l’opposé de trans qui veut dire de l’autre côté.
Ainsi, une personne cis ou cisgenre, c’est quelqu’un qui se sent en accord avec son genre assigné à la naissance (en gros le modèle social qu’on va vouloir que la personne incarne en tant que société). Ensuite, nous avons hétéro, comme dans hétérosexuel : une personne qui est sexuellement attirée par des personnes du sexe opposé (sexe, aka ce qu’il y a entre les jambes de Peter Parker ou de Wonder Woman. À ne pas confondre avec le genre, qui est comment on performe les schémas tricotés sur l’autel de la différentiation sexuelle.
Simplification oblige, je n’en dirai pas plus, je n’ai normalement que deux pages et je m’étale déjà trop, je vous engage à aller lire des exégèses de Judith Butler. C’est compliqué, mais passionnant).
Enfin, la normativité, et non pas la normalité, attention, représente la conformité aux normes telles qu’imposées par un pouvoir, une société, une culture. La cishétéronormativité est donc l’injonction à être cisgenre et hétérosexuel au sein de notre société occidentale post-coloniale, à performer des schémas de genre et de sexe stéréotypiques.
Par extension, tout ce qui sort de ce modèle cishétéronormatif est littéralement hors-normes. Être queer, être LGBTQIA+, c’est se poser en porte-à-faux de ce modèle-là.
Ainsi, une personne cis-hétéro, qui évolue au sein des normes sociétales, peut se permettre d’incarner qui elle souhaite dans sa vie. Il en est de même avec un personnage de fiction : il n’y a pas besoin d’établir ce qu’on juge être le socle d’une personne, son genre (et donc sa manière d’interagir en société in extenso), et son orientation sexuelle (la raison pour laquelle le prince vient délivrer la princesse du bad dragon). Une personne queer, de par sa nature, n’a pas une identité normée sur laquelle l’autaire peut se baser afin de la présenter à l’audience. La création d’histoires et des personnes la composant, surtout pour le grand et le petit écran, fonctionnant par modèles archétypaux (le voleur, le rigolo, le dur à cuire, l’intelligent, la meuf). Regardez Les Gardiens de la Galaxie ou Fast & Furious si vous ne me croyez pas), une personne queer est représentée par ce qui est le plus simple à transmettre à l’audience : son identité queer. On présente donc une personne gay comme le gay. Une lesbienne comme la lesbienne. Etc. Etc.
Et vous savez quoi ?
Ce n’est même pas une mauvaise chose.
Je ne rigole pas, ce n’est pas une mauvaise chose. C’est loin d’être une bonne chose, mais ce n’en est pas une mauvaise. Parce que la représentation des personnes queers, des identités hors normes, des personnes porteuses de handicaps, ayant un TSA ou autre, est pauvre dans la fiction mainstream. Il y a une sous-catégorie de la littérature appelée littérature queer uniquement parce qu’elle présente des personnages qui le sont, queer ! Ce qui est mauvais par contre, c’est de représenter ce personnage par des clichés homophobes, le gay fabulous au poignet cassé par exemple. Mais l’idée est qu’il manque aux jeunes LGbébés une représentation qui permette une construction et une identification saine, quel que soit le médium de la fiction. Représenter une population hors norme, c’est la faire exister, et ce n’est déjà pas si mal.
Mais c’est loin d’être suffisant honnêtement. Ce n’est pas mauvais, ce n’est pas si mal et nous, on veut quelque chose de bien.
Ainsi, vient la partie où je réponds à la seconde question posée en introduction (et où je me rends compte que j’ai déjà dépassé de cent mots la longueur limite que je m’étais donnée). Comment faire mieux que pas mal lorsqu’il s’agit de représenter un personnage queer ?
Pas de définition pour y répondre, mais un conseil, un seul. Si une personne cishétéro peut se permettre d’incarner qui elle souhaite, et qu’un·e autaire peut se permettre de représenter une personne cishétéro de la façon qu’il ou elle le souhaite, pourquoi faire différemment pour une personne queer ? Une personne est queer parce qu’elle est elle et pas l’inverse, souvenez- vous, c’était il y a deux pages en préambule de cet article. Une personne queer peut être bonne, mauvaise, camionneuse, artiste, vagabonde, héroïque ou frivole, pauvre ou lunatique.
Une bonne représentation de personne queer, c’est une représentation d’une personne dans la diversité des possibles qu’elle pourrait être. Là où ça se corse pour les autaires, c’est que sa relation à la société (elle vers la société, ou la société vers elle) sera différente. Les cultures et les gens qui la composent peuvent ne pas autant accepter les homos ou les personnes trans que les cis et les hétéros, ce qui peut devenir un vrai point de scénario.
L’unique conseil que j’ai est celui-là, il faut créer des personnages queers comme on créerait des personnages hétéros, en ne pensant pas immédiatement à ce qu’il y a entre leur cuisse et qui ils vont embrasser le soir en rentrant de leurs inénarrables aventures. Mais il faut passer du temps à rechercher ce que ça implique d’être queer dans la société, dans les péripéties auxquelles ces personnages seront confrontés. Il faut écrire des pirates de l’espace lesbiennes dans une histoire où le focus est plus la piraterie que le lesbianisme, des ninjas genderfluide, et des démons bisexuels (ok ça c’est peut-être déjà le cas dans la plupart des récits inspirés de la mythologie biblique que je lis).
Je terminerai en citant et complétant la phrase la plus importante de cet article :
Une bonne représentation de personne queer, c’est la représentation d’une personne dans la diversité des possibles qu’elle pourrait être au sein de son histoire.
Bonne Saint-Valentin. Bonne création, et bonne écriture à tous et à toutes !
Éloïse - Bosi-e
Après avoir appris à tenir un stylo des deux mains (pas en même temps), j'ai commencé à écrire des trucs. Commencer est le terme puisque j'éprouve une certaine difficulté à les finir, trop affairée à en imaginer une nouvelle en vérité.
Grande lectrice depuis toute petite bien que miro, affamée d'histoires et de littérature en tout genre (de la SFFF, de la philo, des essais, des mangas ou des BD,...) j'ai pris la sale habitude d'essayer de décortiquer et analyser tout ce qui me passait dans les mains et à travers la tête. Cela m'a menée très tôt à ouvrir un blog pour mettre mes idées en ordre et les partager.
J'ai continué à écrire des petites histoires à côté, et je m'investis régulièrement pour proposer en ligne des ateliers d'écriture impromptus sur une thématique ou une autre.
Actuellement en train de naviguer entre le travail, le sport en grande quantité, la flemme et tout le reste, je me concentre sur l'écriture d'un recueil de contes mythologiques ainsi qu'un livre de campagne de Jeu de Rôle pour le système Cyberpunk RED.